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15 Janvier 2013 A la découverte de l'Amérique Latine (sem. 4)

Quatrième semaine d'aventure pour Maxime Barat à travers le Brésil sur la mythique Transamazonienne. Cette semaine a été particulièrement difficile pour le jeune pilote et sa Versys. Voici son récit...
Maxime Barat : "Voilà deux jours que je suis à Manaus, la métropole de la jungle. Je suis au cœur de la forêt amazonienne. Au 19ème siècle cette ville n’était qu’un petit village qui s’est ensuite développé grâce à l’industrie du caoutchouc et à l’essor de l’automobile. Aujourd’hui, Manaus est surtout une zone franche mais on y trouve encore des vestiges de cette période faste. Comme le fameux théâtre Amazonas construit avec des briques apportées d’Europe, du verre français et du marbre italien qui ont traversé l’Atlantique puis remonté l’Amazone sur les bateaux de l’époque. De la folie !

Mais il est temps de reprendre la route pour Porto Velho, la BR319 plus exactement. C’est l’unique lien terrestre entre Manaus et le reste du Brésil et pourtant cette route est dans un état pitoyable. Il n’y a d’ailleurs pas de bus entre Porto Velho et Manaus, seulement le bateau. Je ne le sais pas encore mais je m’embarque dans une sacrée galère. Jusqu’à Careiro tout va bien, je prends une barge pour traverser le rio negro et je me retrouve sur une bonne route jusqu’à Careiro à environ 150km. Je décide de faire étape dans une station-service.

Le lendemain je fais le plein. 30 litres d’essence me permettent une autonomie d’environ 600 kilomètres. J’ai à peu près 550km à parcourir avant de rejoindre Humaita mais apparemment je pourrais trouver de l’essence dans 450 kilomètres.

Pour cette première journée, l’asphalte n’a pas tardé à disparaître pour laisser place à une succession sans fin de bourbiers géants. Je passe le premier, puis le deuxième. Au troisième, je couche la moto. En fait c’est vraiment la galère, je cuis sous mon équipement. Je pousse et tire la moto comme je peux pour la faire avancer mais c’est vraiment dur. En 2 heures j’ai dû parcourir environ 15 kilomètres. Ensuite, en voulant éviter une ornière trop profonde je m’embourbe. La moto est alors scotchée, ventousée, tout ce que vous voulez mais elle ne bouge pas d’un centimètre. A ce moment-là, j’abandonne. Il est 13 heures, j’ai fait 80 kilomètres dont 50 d’asphalte. Ma vitesse moyenne n’est que de 10 kilomètres par heure et il me reste 480 kilomètres à parcourir. Heureusement, 10 minutes plus tard, un Pick-up arrive. Le conducteur, amusé, comprend que j’ai besoin d’aide et arrive en marche arrière. Son frère sort une sangle et attache la moto au 4x4. En deux temps trois mouvements je suis libéré. Le reste de la route sera moins boueux mais tout aussi difficile car la pluie a rendu la « chaussée » très glissante, sans compter les nombreuses déviations, pour éviter les ponts en bois effondrés et les ornières profondes. Vers 16 heures, je m’arrête discuter avec un homme assis sur un pont. J’en profite pour lui demander à combien de kilomètres est le village le plus proche. J’ai déjà parcouru 150km et je n’en peux plus ! J’en profite pour sortir mon porte feuille et regarder combien il me reste. Horreur, il ne me reste rien ! Je suis au milieu de la forêt vierge et à cours de liquidités. Il me reste au moins deux jours de route avant de trouver une banque. Un peu paniqué, je lui explique mon souci. Il me propose de dormir avec ses collègues. Ils travaillent pour une compagnie d’électricité et ils sont une quinzaine à dormir un peu plus loin. Je passe donc la soirée avec eux, je suis trop content de l’avoir rencontré. Tout le monde est aux petits soins. L’un d’eux connait quelques formules de politesse en français et c’est parti pour des fou-rires à n’en plus finir. Franchement, ils forment une super équipe. Car sur cette route, pas question de camper n’importe où car il y a pas mal de jaguars et boa qui se promènent.

Le lendemain, j’arrive au fameux village après seulement quelques kilomètres. Mais je dois prendre une barge pour passer la rivière. Le bateau arrive, je monte dessus avec ma Versys et, au moment de partir, j’explique au passeur que je n’ai que 4 reals. C’est ici où tout se joue. Soit il me fait passer pour 4 reals au lieu de 10 soit je suis bon pour sacrifier 2 jours de route (1 jour aller et 1 jour retour) pour pouvoir retirer de l’argent à la banque la plus proche. Ouf, c’est passé !

De l’autre côté je rencontre deux brésiliens à moto. Eduardo et José ont 38 et 56 ans et ils vont eux aussi à Humaitá. Je leur demande si je peux faire la route avec eux. Cela sera plus sympa, plus sûr, puis, au cas où, ils pourront m’avancer un peu, je les rembourserai à Humaitá. Je me suis aussi rendu compte d’un autre problème. C’est que je n’aurai jamais assez d’essence pour aller jusqu’à Humaitá, la route d’hier a été tellement difficile que ma conso a été bien plus élevée que prévue. Je me retrouve donc sans argent, et avec trop peu d’essence. Mais quel bol de rencontrer deux motards locaux qui vont au même endroit que moi. Vu de l’extérieur, ça doit être rigolo de nous voir rouler tous les 3. Eux avec leurs petites 125 qui font très couleurs locales et moi avec ma grosse moto de touriste. De toutes manières, il pleut tellement que l’on roule à peu près à la même vitesse, souvent les pieds par terre pour récupérer les nombreuses embardées. Parfois, nous avons de la chance car un peu de goudron fait son apparition, mais il n’y a quand même rien de pire qu’une route en ruine pleine d’immenses trous et changeant sans cesse de revêtement. Ce qui est impressionnant c’est à quel point la forêt a repris le dessus et grignote littéralement ce qu’il reste de route au point de ne laisser souvent la place que pour un véhicule. Nous sommes au cœur de la forêt sur une route qui donne l’impression d’avoir survécu à plusieurs fins du monde.

L’équipe continue son chemin à une vitesse moyenne de 15 à 25 kilomètres par heure. Les chutes régulières des uns et des autres ponctuent le voyage. Tous les 30 kilomètres, nous nous arrêtons retendre les chaines des deux petites motos. Il est 19 heures, nous roulons depuis environ 10 heures et nous cherchons désespérément un campement. Heureusement, des gens sur la route nous disent qu’il un y a un vieux relais de téléphone où nous pourrons trouver de la place pour s’abriter. Au bout d’une heure nous trouvons le fameux portail mais … il est cadenassé. Heureusement, la clôture en barbelé a déjà été coupée pour pouvoir passer. Je sors alors ma pince leatherman (merci pour le cadeau François ! Tu vois je ne l’ai pas emmené pour rien) et coupe un peu plus pour pouvoir faire rentrer les motos. Ici nous serons à l’abri des jaguars. C’est énorme comme ambiance, j’ai l’impression d’être dans le film Jurassik Park sauf que c’est moi qui suis dans l’enclos, avec ces hauts barbelés et ce relais téléphonique dans lequel on ne peut pas rentrer mais qui fait un bruit de tous les diables. Heureusement qu’il y a une avancée pour s’abriter. Nous serons donc au sec pour la nuit.

Enfin la dernière journée ! Nous commençons à être vraiment fatigués. Mais l’aventure c’est aussi cela : dépasser ses limites. Nous repartons, il pleut encore des cordes. L’humidité est telle que mon appareil photo est inutilisable pour la journée, l’objectif est tout embué. De toute manière le décor ne change pas. Chacun roule à son rythme, mais je tombe assez souvent. J’enfonce finalement mes deux valises et casse le support. Je perds du temps et au passage mes compagnons de route. Il est 13 heures, mais je ne m’arrête pas pour manger. Je dois absolument les rattraper. Sans eux, je n’ai plus d’argent et pas assez d’essence pour aller jusqu’à Humaita. Heureusement, ce matin, José m’a donné 2 litres d’essence afin d’arriver sans soucis jusqu’au village qui se situe à 120 kilomètres avant Humaitá. Nous devrions donc nous retrouver là-bas pour se ravitailler. Mais cette route redevient un bourbier interminable et je galère toujours autant avec ma grosse moto. J’ai voulu faire cette route alors je tiendrai jusqu’au bout même si les conditions sont exécrables. Plus que 15 kilomètres avant le village mais… c’est la panne sèche. La situation empire : pas argent, pas d’essence, et j’ai perdu mes collègues depuis près de 3h. J’ai à boire et à manger et je ne suis pas loin du prochain village. Je garde mon calme et j’attends 10, 15, 25, 40 minutes. Un vieil homme en vélo s’arrête, je lui explique mon problème, mais il doit livrer son grain alors il repart. 5 minutes après, un motard arrive et je lui explique mon problème. Il revient 10 minutes après avec une bouteille remplie d’1 litre d’essence. Je suis sauvé ! J’ai maintenant juste assez d’essence pour me rendre au village. Je ne sais pas comment le remercier. Les gens sont décidément trop sympas dans ces régions reculées. Je fais 1 kilomètre et je retrouve le vieil homme en vélo qui m’arrête et me tend une bouteille avec 2 litres d’essence. Je n’ai pas de mot pour exprimer ce que je ressens à ce moment là, ces gens sont venus m’aider avec le sourire et sans rien attendre en retour. Au début je n’osais pas accepter son essence mais lui n’a qu’un vélo et m’a fait comprendre qu’il n’en avait pas besoin. Je fais encore 5 kilomètres et Eduardo, l’un des motards avec qui je roulais jusqu’à présent, est venu m’apporter 4 litres d’essence. Nous arrivons donc au village ensemble.

A 18 heures, la pluie se calme et nous repartons après une pause bien méritée dans les ornières de boue. Plus que 120 kilomètres avant d’arriver. C’est dur mais nous avons tous le sourire. A environ 60 kilomètres, l’asphalte refait son apparition. Nous nous arrêtons et Eduardo retire un maillon de la chaine de José qui s’est pas mal allongée dans la boue. José repart le premier suivi par Eduardo et je ferme la marche. Il fait nuit noire, José est déjà loin, Eduardo et moi sommes partis après. Ce dernier pile devant un énorme trou au beau milieu de la route, je l’évite moi aussi de justesse. Mais 20 mètres après, nous retrouvons José étalé, inerte à côté de la moto. Il a de nombreuses plaies, le casque mal attaché a volé et il saigne de la tête. Au bout de quelques minutes, il se relève. Je ne comprends pas le portugais mais me rend compte qu’il a perdu la mémoire, il ne sait pas d’où on vient ni où on va, ne se souvient pas de l’accident. Nous sommes sous le choc. Nous lui demandons comment il s’appelle. José ! C’est bon il a fait l’impasse sur l’accident mais se souvient du reste. Au bout d’une heure, nous reprenons la route car nous sommes pressés par le temps et la nuit qui tombe. Je lui ai proposé de le prendre en passager mais il ne veut pas laisser sa moto là. Il ne nous reste plus quelques dizaines de kilomètres à parcourir mais la route disparait à nouveau en laissant de nouveau la place à de grosses ornières. Je ne sais pas comment il tient. Nous mettrons 2 heures de plus pour rejoindre Humaita où l’on arrivera à minuit. Là nous partagerons un hôtel avant de se séparer le lendemain. Juste avant de partir, je leur rembourse l'essence (20 reals) ainsi que l'hotel (30 reals). Ils prennent la transamazonienne sur 300 kilomètres pour arriver chez eux et moi je vais à Porto Velho puis en Bolivie.

En tous cas cette étape du voyage restera gravée dans ma mémoire. Mes chances d’arriver au bout de cette étape étaient, au départ, très minces je me suis une fois de plus rendu compte que les voyages réservaient toujours bien des surprises."

La semaine prochaine, nous découvrirons comment s’est déroulé son périple jusqu’en Bolivie.